Cet empire continuel sur les affections est peu favorable aux grands effets de la tragédie: aussi la littérature latine ne contient-elle rien de vraiment célèbre en ce genre. Le caractère romain avait certainement la grandeur tragique; mais il était trop contenu pour être théatral. Dans les classes même du peuple, une certaine gravité distinguait toutes les actions. La folie causée par le malheur, ce cruel tableau de la nature physique troublée par les souffrances de l'âme, ce puissant moyen d'émotion, dont Shakespeare a tiré, le premier, des scènes si déchirantes, les romains n'y auraient vu que de la dégradation de l'homme. On ne cite même dans leur histoire aucune femme, aucun homme connu, dont la raison ait été dérangée par le malheur. Le suicide était très-fréquent parmi les romains, mais les signes extérieurs de la douleur extrêmement rares. Le mèpris qu'excitait la démonstration de la peine, faisait une loi de mourir ou d'en triompher. Il n'y a rien dans une telle disposition qui puisse fournir aux développements de la tragédie.
On n'aurait jamais pu, d'ailleurs, transporter à Rome l'intérêt que trouvaient le grecs dans les tragédies dont le sujet était national. Les romains n'auraient point voulu qu'on représentát sur le théatre ce qui pouvait tenir à leur histoire, à leurs affections, à leur patrie. Un sentiment religieux consacrait tout ce qui leur était cher. Les athéniens croyaient auz mémes dogmes, défendaient aussi leur patrie, aimaient aussi la liberté; mais ce respect qui agit sur la pensée, qui écarte de l'imagination jusqu'à la possibilité des actions interdites, ce respect qui tient à quelques égards de la superstition de l'amour, les romains seuls l'éprouvaient pour les objets de leur culte.
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